La cathédrale de Cavaillon, édifice classé Monument Historique, fait depuis plusieurs années l’objet de travaux de restauration réalisés sous la direction de l’Architecte en Chef des Monuments Historiques pour les interventions lourdes (toiture) ou de l’Architecte des Bâtiments de France pour les travaux d’entretien.
La programmation de ce dernier type d’intervention a donné lieu à une courte étude archéologique sur l’ancienne chapelle de l’évêque effectuée le 25 janvier 2007 par le Service d’Archéologie du Département de Vaucluse, à la demande du Service Départemental de l’Architecture et du Patrimoine. L’objectif était de comprendre l’évolution architecturale de cette pièce entre le XIIe s. et le XVIIIe s. et d’évaluer l’importance d’un éventuel décor peint sur les murs et de différents aménagements mobiliers aujourd’hui disparus.
L’étude conduite préalablement à des travaux de restauration apporte des données essentielles qui nous font entrevoir un bâtiment antérieur à cette chapelle des XVIIe-XVIIIe s. Ainsi, quelques sondages et observations attentives permettent de s’interroger sur l’architecture et la fonction d’un corps de bâtiment médiéval placé à l’ouest du cloître, perpendiculairement à la cathédrale. C’est une découverte de premier plan, semble-t-il, qui complète notre perception de la topographie du groupe épiscopal de Cavaillon.
Description des lieux
La chapelle de l’évêque est située au sud de la troisième travée de la nef. A l’ouest se trouve la chapelle du Rosaire et à l’est la galerie orientale du cloître. La chapelle est placée à l’étage et forme ainsi une tribune dominant la nef et bordée d’une large balustrade. En dessous, un passage couvert de voûtes d’arêtes donne accès au cloître et à une chapelle latérale (dite chapelle d’Hiver) placée à l’extrémité méridionale.
La chapelle de l’évêque s’inscrit dans un plan rectangulaire de 9,80 par 4,75 m et est aménagée entre deux contreforts de la nef romane prolongée par des murs plus étroits. La pièce est couverte d’un plafond en plâtre situé à 5,20 m du sol en carreaux de terre cuite. Le plafond est simplement agrémenté d’une double corniche en plâtre disposée sur la partie sommitale des murs. Le mur sud est percé en partie supérieure d’une large fenêtre couverte d’un arc en anse de panier. La disposition haute de cette fenêtre dont les moulures en plâtre épousent la forme, est liée à la présence d’un autel et de son encadrement architecturé.
De chaque côté de l’autel, actuellement en restauration, sont placées des demi-colonnes cannelées et jumelées. Elles reposent sur un socle et sont couronnées de chapiteaux corinthiens supportant une architrave sur laquelle se développe la corniche en plâtre. Ce décor du retable est réalisé avec une pierre de taille de couleur blanche à grain fin de type Pernes-Velleron. Le vaste espace laissé libre entre l’autel et la fenêtre devait accueillir un tableau de grande taille.
Le mur oriental est percé d’une porte rectangulaire accédant aux toitures du cloître. L’encadrement de cette porte a été complètement cimenté, probablement dans les années 1950, lorsque l’on a obturé et enduit grossièrement un renfoncement du mur. Cet aménagement large de 4 m et haut de 3 m prend la forme d’un grand arc surbaissé, peut-être couvert d’un linteau, car aucun claveau ne semble apparaître sous l’enduit. Dans ce mur ont été effectués la plupart des sondages sur lesquels nous reviendrons.
Le mur occidental est percé d’un arc en plein cintre clavé qui participe au décor de la chapelle du Rosaire située à côté. L’arc abrite une baie rectangulaire à claire-voie aux menuiseries du XVIIIe s. qui s’appuie sur une balustrade en plâtre. Au-dessus de la baie, on remarque la disparition d’un petit plafond en lattis plâtré ; cette démolition permet de visualiser l’arrière du coffrage du décor en plâtre de la chapelle du Rosaire et en particulier des éléments d’un décor peint antérieur, réutilisés comme simples matériaux de construction par les gypsiers du XVIIIe s.
La partie nord de la pièce ouvre sur la nef par le biais de deux arcs juxtaposés. Le premier, en plein cintre, est une arcature aveugle de la nef romane percée pour l’aménagement de la tribune. Cet arc couvert de grandes marques lapidaires, est prolongé vers le sud par une maçonnerie plâtrée qui précède un second arc bien différent. C’est un arc brisé, large d’environ 4,40 m, construit en pierre de taille dont une comporte une petite marque lapidaire. L’arête de l’arc est constituée de plâtre destiné à rectifier la profondeur des pierres. Il apparaît qu’il s’agit d’un arc façonné à partir des vestiges d’une voûte en berceau brisé sectionnée dans l’alignement du mur de la nef.
Pour compléter cette description de ce côté de la chapelle de l’évêque, on peut noter la présence d’une balustrade en pierre servant de garde-corps et de deux cartouches blasonnés. L’un se situe sous l’arc donnant sur la nef et est frappé des armes de l’évêque Joseph Guyon de Crochans (1709-1742). Ces armes, écartelé au 1 et 4 d’argent à la fasce d’azur accompagnée au-dessus et au-dessous de 4 burelles de geules ; au 2 et 3 d’argent à la bande de geules chargée de trois croissants d’argent, semblent être une composition du XIXe s. consécutive à l’ornementation de la nef par le peintre Seguin, vers 1860. Le blason est entouré de 20 glands - attributs réservés aux archevêques - qui sont systématiquement représentés dans les peintures du XIXe s. des armoiries des évêques de Cavaillon.
Un autre blason, placé dans un cartouche situé au-dessus de la retombée ouest de l’arc, semble plus authentique. Celui-ci est surmonté du chapeau vert de l’évêque et est bordé de 12 glands ; le blason est peut-être l’original de l’évêque Guyon de Crochans puisqu’il est frappé d’argent à la fasce d’azur accompagnée au-dessus et au-dessous de 4 burelles ondées de gueules, symboles héraldiques probables de la famille de Guyon que l’on retrouve sur le blason du XIXe s.
Analyse architecturale
Quelques sondages dans les murs, en particulier dans le mur est, ont apporté des informations de premier plan pour comprendre l’évolution de ce corps de bâtiment relié à la nef de la cathédrale. Sur la surface sondée, aucune peinture n’a été repérée à l’exception d’un badigeon gris uniforme ; les maçonneries ont donc pu être étudiées par le biais de ces sondages. A l’est, le contrefort roman est apparu partiellement et a livré quelques assises de pierre de taille ainsi que son extrémité. A mi-hauteur, le parement de pierre avait été détruit et remplacé par une maçonnerie irrégulière.
Le début de cette rupture dans l’élévation du contrefort correspondait parfaitement avec le départ de l’arc brisé ouvrant sur la nef. Cette observation permet de préciser que l’arc se développait vers le sud et retombait sur le contrefort ainsi que sur un mur placé dans son prolongement. En conséquence, il ne s’agit pas d’un arc mais d’une voûte retaillée à l’aplomb du parement extérieur du mur de la nef. Une autre observation permet d’appuyer cette hypothèse car l’arc brisé est rectifié par une maçonnerie de plâtre qui complète l’espace manquant lié à l’enlèvement de certaines pierres de la voûte d’origine. Malheureusement, les sondages n’ont pas permis de retrouver d’autres traces d’accroche de la voûte sur les murs. On peut expliquer ce constat par une reconstruction totale de la pièce lors de l’aménagement de la chapelle de l’évêque.
La découverte d’une voûte médiévale antérieure à la chapelle permet de retracer l’évolution, entre le Moyen-Âge et l’époque moderne, de cet espace situé à l’angle de la cathédrale et du cloître. Au XIIe s., il est probable que l’emplacement de la chapelle de l’évêque ait été extérieur, dans une cour en bordure du cloître. On peut aisément restituer l’élévation du pan de mur de cette travée de la cathédrale, aujourd’hui largement ouvert. Le mur gouttereau devait être à l’intérieur épaulé par une arcature aveugle à deux rouleaux dont seul le premier subsiste. Le mur était peut-être percé d’une fenêtre ; une hypothèse acceptable puisqu'aucune fenêtre romane n’est conservée dans la cathédrale, suite au percement de multiples chapelles latérales.
A l’extérieur, la nef était contrebutée par deux contreforts dont l’extrémité est décorée d’une lésène. Le contrefort placé à l’ouest, pouvait être, en partie basse, compris dans le mur du cloître si celui-ci a été construit simultanément. Plus tard, peut-être entre les XIIIe et XIVe s., l’espace est couvert d’une voûte en berceau brisé abritant un bâtiment rectangulaire placé perpendiculairement à la nef, dans le prolongement des deux contreforts. La datation suggérée se fonde sur une marque lapidaire en forme de triangle et de petites dimensions que l’on utilisait communément sur des chantiers de cette période.
Le plan de cette pièce n’est pas certain ; néanmoins il est fort probable qu’elle s’étendait tout le long du cloître jusqu’à l’angle de l’église Saint-Pierre (cour de l’école maternelle). Plusieurs indices viennent épauler cette hypothèse. Au rez-de-chaussée, on observe dans le cloître, outre un enfeu gothique, les vestiges d’une porte de style comparable, couverte d’un arc en tiers-point avec une série de voussures ; ces vestiges sont englobés dans la porte actuelle d’accès à la cathédrale. A l’intérieur de la chapelle d’hiver, on perçoit également deux arcs surbaissés et chanfreinés qui pouvaient éventuellement avoir une fonction d’enfeu.
Dès lors, l’espace était bel et bien occupé autour des XIIIe et XIVe s. mais peut-être divisé en plusieurs pièces et deux niveaux séparés par un plancher. La voûte en berceau brisé est généralement choisie au XIIIe-XIVe s. pour de longues pièces ; par exemple au Petit-Palais d’Avignon au XIVe s. C’est la raison pour laquelle la restitution de la voûte sur l’ensemble de ce bâtiment rectangulaire est probable. A l’étage, la pièce ainsi voûtée donnait sur la nef de l’église. La position de cette voûte par rapport à une arcature aveugle romane restituée à deux rouleaux ne laisse aucune place au mur gouttereau. Par conséquent, cette pièce voûtée faisait déjà fonction de tribune et pouvait s’inscrire dans l’arcature romane intégralement conservée à cette période.On ne peut restituer d’ouverture à cette pièce mais les sondages ont apporté le jambage nord d’une petite porte rectangulaire percée en biais dans l’extrémité du contrefort. On retrouve à l’extérieur les traces de cette porte associée à une petite niche taillée dans le contrefort. Il est possible que cet accès ait fonctionné lorsque la voûte était encore en place. Dans ces conditions, il parait évident qu’un accès existait sur le toit du cloître qui reliait la pièce aux bâtiments canoniaux. Des travaux d’envergure sont effectués au tournant des XVII et XVIIIe s. On sait par le livre de raison du chanoine de Grasse, publié par Frédéric Meyer, que l’évêque Jean-Baptiste de Sade fait d’importantes transformations dans la cathédrale. En 1681, il fait couvrir l’entrée dans la cathédrale, qui se fait par le cloître, par un auvent et fait embellir « sa chapelle d’hiver », située au premier étage d’un vestibule, par une balustrade en pierre donnant sur la nef. Puis il la fait relier à la tribune de ses appartements d’où il peut entendre la messe chantée par les chanoines. Quelques commentaires s’imposent par la mise en perspective de ce texte et des observations architecturales.
Le auvent doit être interprété comme l’espace couvert de deux voûtes d’arêtes qui effectivement relient toujours la cathédrale au cloître. Ce type de voûte est parfaitement conforme à une réalisation de la fin du XVIIe s. On apprend ensuite que l’évêque utilise cette chapelle en saison hivernale et qu’il fait construire la balustrade. C’est probablement celle que l’on connaît encore aujourd’hui et qui s’appuie sur l’arc d’entrée de cet "auvent".
Enfin, on apprend qu’il fait relier l’ensemble à sa propre tribune et jusque dans ses appartements ; entreprise qui suppose l’édification d’un long corridor jusqu’au palais épiscopal, cheminant peut-être sur la façade de l’église Saint-Pierre.
Il est certain que l’évêque de Sade a entrepris de gros travaux dans ce secteur de la cathédrale. Mais on parle simplement d’embellissement et on note la construction de la balustrade dans « sa chapelle d’hiver ». Si le décor du retable et l’aménagement de la chapelle dans son aspect actuel peuvent lui être attribués, on ne peut que s’étonner qu’il n’existe aucune mention de ces travaux dans les écrits du chanoine de Grasse ; ceci d’autant plus qu’ils ont nécessité la démolition de la voûte antérieure et la reconstruction des murs latéraux. C’est peut-être une omission car la pose des voûtes d’arêtes semble liée à l’édification du mur sud de la chapelle de l’évêque, placé sur le même alignement. Dès lors, le terme « d’embellissement » pourrait englober toutes ces transformations, aussi importantes soient-elles.
La présence des armes du successeur de Monseigneur de Sade, sur le côté gauche de l’arc de la tribune, pourrait a contrario, signifier que celui-ci a achevé les travaux ou largement reconstruit la partie supérieure de ce corps de bâtiment. Une chose est sûre : au début du XVIIIe s., la chapelle de l’évêque a pratiquement l’aspect que l’on connaît aujourd’hui. La démolition de la voûte médiévale a nécessité la reconstruction totale des murs situés dans le prolongement des contreforts romans. Celui situé à l’ouest a même été complètement restructuré car une grande partie du parement de pierre de taille fut détruit à cette occasion. On peut éventuellement expliquer cette transformation par un mauvais état de la maçonnerie médiévale : on constate en effet sur quelques blocs subsistants des traces de rubéfaction profonde qui attestent que le mur a subi un feu intense à cet endroit. Ces traces pourraient être celles d’un incendie provoqué par les troupes protestantes du baron des Adrets en 1562.
L’accès de la chapelle est modifié lors de ces grands travaux. Il s’effectue toujours au-dessus du cloître mais la porte est transformée : on obture l’ancienne ouverture biaise taillée dans le contrefort roman et on édifie une nouvelle porte plâtrée dont le jambage a été retrouvé lors d’un sondage. A la fin du XVIIIe s., la chapelle de l’Evêque est une dernière fois modifiée consécutivement à la construction de la chapelle du Rosaire, située à l’ouest et attribuée à Jean-Baptiste Péru II. Pour les besoins de l’édification de la coupole et dans un souci de préservation de la symétrie de cet ensemble architectural, on ouvre un grand arc en plein cintre en pierre de taille dans le mur ouest de la chapelle de l’Evêque. L’observation de la maçonnerie démontre que l’arc a été percé a posteriori dans le mur puisqu’un mortier très différent a été utilisé pour colmater la brèche au-dessus des claveaux. Un décor de gypserie est alors placé sous l’arc pour agrémenter la chapelle du Rosaire avec pour réemploi des fragments d’un décor antérieur. On orne également le côté de la chapelle de l’Evêque.
Un petit plafond associé à une devanture formant un arc surbaissé devait décorer l’embrasure de cet arc où se développait une baie à claire-voie posée sur une balustrade. On retrouve sur les côtés de l’arc en plein cintre la retombée de ce « faux arc surbaissé » qui fait le penchant à un second situé sur le mur opposé. Effectivement, l’entrée de la chapelle est une dernière fois modifiée par la création d’un renfoncement du mur au centre duquel se trouve une porte rectangulaire. Cet aménagement en forme d’arc surbaissé est simplement taillé dans la maçonnerie préexistante, rectifiée pour les besoins avec le même mortier que celui que l’on retrouve au-dessus de l’arc en plein cintre. Il est difficile d’imaginer le décor de ce renfoncement, peut-être des gypseries ou de vastes huisseries.
La « touche finale » à ces transformations du décor de la chapelle de l’Evêque est apportée à l’autel. Il est probable qu’en cette fin de XVIIIe s. on décide de le remettre au goût du jour. On maçonne entre les socles du retable et on adapte un autel galbé de type tombeau ; ces modifications ont pu être cependant effectuées bien plus tard, dans le courant du XIXe s. avec un autel antérieur récupéré et replacé.
Conclusion
Le décor de la chapelle de l’Evêque est assez bien conservé - à l’exception des aménagements de la fin du XVIIIe s. - mais il mérite une restauration globale. L’étude archéologique montre quelles ont été les différentes transformations de cet ensemble depuis le Moyen-Âge jusqu’à nos jours. L’intérêt majeur de ces recherches réside dans la découverte d’une ancienne voûte en berceau brisé médiévale qui se déployait sur cet espace encadré par deux contreforts de la nef romane. C’est une donnée importante qui permet de compléter nos connaissances des bâtiments canoniaux disposés autour du cloître au Moyen-Âge. A l’avenir, il serait souhaitable que tous les travaux de restauration sur ce remarquable ensemble épiscopal et canonial de Cavaillon, soient précédés de recherches comparables. Leur utilité est essentielle pour comprendre le bâtiment et par-delà, réussir des restaurations conformes à l’intérêt architectural, artistique et historique de ce groupe épiscopal.
François Guyonnet
Février 2007
Bibliographie
Collectif - Les évêques de Cavaillon et leurs armoiries peintes dans la nef de la cathédrale en 1860. Catalogue d’exposition, Les Amis de la Cathédrale et du Vieux Cavaillon, Cavaillon, 1998, 22 p.
Fray (F.) ; Guild (R.) ; Sauze (E.) - Le groupe épiscopal de Cavaillon, In Monuments Historiques, 170, 1990, p. 77-79.
Meyer (F.) - Un chanoine de Cavaillon au Grand Siècle. Le livre de raison de Jean-Gaspard de Grasse (1664-1684). Collection de documents inédits sur l’histoire de France, Série in-8°, Vol. 30, Ed. C.T.H.S., Paris, 2002, 153 p.
Thirion (J.) - Notre-Dame de Cavaillon, In Congrès Archéologique de la France, 1963, Avignon et le Comtat-Venaissin, Société Française d’Archéologie, Paris, 1963, p. 394-406.