CONFÉRENCE
LES ŒUVRES DE PONT
DE LA BASSE VALLÉE
DU RHÔNE
Daniel LE BLÉVEC
professeur émérite de l'Université de
Montpellier
spécialiste de l'histoire de l'Occident médiéval
"Au Moyen Âge, se déplacer, voyager, cheminer sur les routes, franchir les rivières et les fleuves, sont des activités périlleuses. Dès qu’il quitte son espace familier, villageois ou familial, l’homme en chemin doit affronter un environnement hostile et plein d’aléas : ne pas trouver un hébergement pour passer la nuit, faire de mauvaises rencontres, surtout braver le danger que constitue la traversée de rivières au cours impétueux, de fleuves larges et parsemés d’embûches (rochers, tourbillons, courants violents), sans compter les dangers d’ordre surnaturel, que l’imaginaire populaire localise volontiers dans l’environnement fluvial. Tout voyageur qui part seul sur les routes devient un « pauvre » (pauper), car si pauvreté (paupertas) signifie d’abord dénuement, le mot renvoie aussi à la notion de faiblesse. Parmi les voyageurs, ce sont bien entendu les pèlerins qui, les premiers, attendent aide et réconfort. Mais pas uniquement : tous ceux qui voyagent affrontent les mêmes dangers. Aussi entretenir une route, construire un pont, édifier un asile pour abriter ceux qui se déplacent ou même simplement y participer en donnant une somme d’argent, sont des attitudes relevant du devoir d’aumône et de l’impératif d’assistance envers son prochain lorsque celui-ci est dans le besoin. Les fidèles qui consacrent un peu de leur temps ou de leurs deniers à de telles entreprises font par conséquent œuvre de piété et ils en attendent des bénéfices spirituels comparables à ceux qui leur sont promis lorsqu’ils se montrent généreux envers les couvents et les églises.
C’est pour gérer ces dons, faire face tant à l’afflux des voyageurs qu’à celui des fidèles dévots, avides des bénéfices spirituels procurés par l’octroi des indulgences, mais également pour organiser les travaux nécessités par la construction et l’entretien des ponts, enfin pour assurer l’assistance aux pèlerins et aux pauvres passants que se sont constituées, à partir de la fin du XIIe siècle, des " œuvres de pont " (opera pontis), plus particulièrement dans les pays méditerranéens, surtout en Italie et en France méridionale. Ces institutions, au statut canonique assez flou, ont pu être des émanations d’autorités ecclésiastiques supérieures, comme les monastères ou les communautés de chanoines. Elles ont parfois dépendu de confréries, de seigneurs ou de pouvoirs municipaux.
Il est une région où ces institutions ont pris une importance toute particulière, en raison de leur ampleur monumentale, de leur renommée, de l’utilité de leur action, de l’abondance documentaire dont elles bénéficient et de l’originalité de leur situation ecclésiastique et juridique : la vallée du Rhône. Leur localisation se confond en effet avec celle des trois grands ponts qui ont été édifiés sur le Rhône entre la fin du XIIe et le début du XIVe siècle : Lyon, Pont-Saint-Esprit, Avignon. Trois initiatives ambitieuses, destinées à dompter en le franchissant à pied sec un grand fleuve aux eaux tumultueuses et aux crues dévastatrices, redoutable pour les voyageurs amenés à le traverser.
Nous nous attacherons à présenter, car elles sont les mieux documentées, les deux œuvres attachées aux ponts dont les vestiges monumentaux existent encore aujourd’hui, celle du pont d’Avignon et celle du pont Saint-Esprit.
On s’intéressera également au cas particulier et un peu différent du franchissement de la Durance à Bonpas.